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Sociétal « Entreprises entre solidarité et partage » Sylvain Fort & Cédric Meeschaert – Avril 2015

Tiré du livre « Sociétal 2015 – L’Etat-providence à bout de souffle ? Réinventer notre modèle social » – Eyrolles Edition

 

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ENTREPRISES ÉTHIQUES : ÉVIDENCE OU PARADOXE ?

 

Conscientes sans doute des limites de leur approche éthique, les entreprises ont, depuis presque deux décennies, cherché des pistes de travail leur permettant de faire converger leur activité économique et leur rôle social.

[…] Les efforts réalisés pour embarquer les collaborateurs dans l’aventure entrepreneuriale par des dispositifs variés d’intéressement relèvent sans nul doute de la volonté de fédérer le corps social […] autour d’un projet et des résultats obtenus.

 

[…] S’il n’est pas ici utile de rappeler toutes les étapes de l’intérêt pour les activités et les produits financiers « socialement responsables », il convient de signaler que cette évolution s’est ancrée dans une réflexion menée en France dans les années 1980 par l’association Éthique et Investissement1 sous l’impulsion de sœur Nicole Reille. Un changement de paradigme s’est progressivement produit dans l’investissement socialement responsable (ISR)2 : d’une sélection « excluante » des supports d’investissement sur critères éthiques3, on est passé à une sélection « incluante » des cibles d’investissement, soumises à des exigences claires en matière de responsabilité, de soutenabilité et de gouvernance.

 

 

VERS LE PARTAGE

[…] La société aujourd’hui ne cesse de se rappeler au bon souvenir des entreprises, par tous les moyens : groupes de pression, class actions, associations de consommateurs, etc. Il est illusoire de penser qu’il est possible de continuer à gouverner des entreprises sans prendre en compte les mouvements de fond qui agitent le corps social.

Enfin, il est évident que la mauvaise réputation des entreprises n’est que la partie émergée d’un divorce plus profond : c’est le sens même de leur action qui n’est plus compris. En particulier, les nouvelles générations, nées sur un terreau de crise et de ruptures sociales et techniques majeures, ne se reconnaissent pas spontanément dans le mode d’organisation des entreprises (ni, du reste, des institutions au sens large) et questionnent radicalement la destination de leurs efforts comme le but des entreprises qu’elles ont rejointes.

C’est pourquoi nombre de chefs d’entreprise doivent prendre conscience que le propos n’est plus aujourd’hui de réfléchir à donner à l’entreprise une vocation sociale à côté de sa vocation économique : la vocation de l’entreprise doit devenir indissolublement économique et sociale.

Cette préoccupation est ce qui caractérise les acteurs fondateurs de l’économie sociale – notamment les pionniers de la microfinance ou tous ceux qui s’adressent […] aux plus défavorisés, afin de construire pour eux et avec eux des dispositifs de financement ou d’éducation échappant à la pure philanthropie et cependant efficients.

Ces approches bottom of the pyramid (BoP)1 ont connu des succès divers, mais certaines réalisations sont éclatantes : la Grameen Bank n’a pas valu par hasard le Nobel à son fondateur, Muhammad Yunus, et le succès d’Ashoka2 depuis trente ans, y compris en Europe continentale, est un exemple pour tous. Ces projets visent à corriger les défaillances des mécanismes de redistribution et à leur substituer des processus à la fois plus efficaces et plus proches du terrain, avec toutes les difficultés que cela représente.

 

 

 

[…]Il importe aujourd’hui de ne pas laisser le succès de ces initiatives exemplaires servir de bonne conscience à ceux qui sont engagés dans l’économie plus traditionnelle. Ces projets montrent la voie, jusque dans les pays les plus développés. Ils ne sont pas réservés à des populations dramatiquement défavorisées. Notre rôle n’est pas seulement de les soutenir, il est de suivre leur exemple pour modifier les paradigmes de notre propre action. Car en définitive, c’est aussi notre action qui peut in fine créer les déséquilibres économiques rendant indispensable l’action de tels réseaux.

 

La redistribution ne doit pas seulement être rectifiée ou mieux fléchée vers ceux qui en ont réellement besoin : elle doit être repensée. Si nous considérons l’État-providence comme un Saturne qui avale ses propres enfants-citoyens, il nous revient de créer les conditions d’un cercle vertueux dans la création et dans le partage de la valeur. Autrement dit, notre modèle économique ne doit pas être seulement amendé ou complété de dispositifs qui en corrigent les défaillances : il doit être transformé.

La réflexion sur cette transformation prend aujourd’hui des formes diverses et parfois  expérimentales, mais en définitive convergentes. Elles partent toutes de l’idée que la société civile est en somme la bénéficiaire d’entreprises oeuvrant pour le bien commun.
[…]C’est le sens notamment des fonds de partage : les souscripteurs de ces fonds investissent dans des fonds classiques et flèchent à l’avance les associations et fondations qui bénéficieront de la performance réalisée par ces fonds et avec lesquelles ils partageront leur plus-value. Ainsi, au lieu de déterminer une affectation individuelle et en aval des gains financiers, les fonds de partage la déterminent collectivement et en amont, ce qui en garantit la maximisation. C’est notamment le sens du fonds « Éthique et Partage-CCFD » mis en place par la Fondation Meeschaert pour l’Enfance. En Angleterre, les Social Impact Bonds1 mis en place par David Cameron vont dans le même sens : permettre aux investisseurs (particuliers ou institutionnels) d’identifier en amont les destinataires de la valeur créée sans pour autant que leur engagement financier les dépossède complètement de leur épargne.

 

[…]La notion d’amont est ici essentielle : il ne s’agit plus de donner ce qui reste après distribution aux collaborateurs et aux actionnaires ; il s’agit d’intégrer les bénéficiaires au processus même de création. Cela veut dire que les entreprises doivent intégrer dans leur plan stratégique et même dans leur objet social la volonté de tourner leur action vers ce bénéfice social et de faire en sorte qu’il soit porteur de performance. La réflexion de Michael Porter sur la shared value traite entièrement de cette problématique. Le bénéfice sociétal ne doit plus être une résultante optionnelle et marginale de l’action de l’entreprise, mais son centre. Porter est en mesure de

citer de nombreux exemples d’entités et de projets issus de très grandes entreprises (Vodafone, General Electric) affichant une création de valeur remarquable et un rythme de développement supérieur aux modèles plus traditionnels.

 

 

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Tiré du livre « Sociétal 2015 – L’Etat-providence à bout de souffle ? Réinventer notre modèle social » – Eyrolles Edition

Charlotte Saillard: