BNP Paribas est-elle maltraitée aux Etats-Unis ?

1er juin 2014
Paru sur boursorama.com
 
Les Etats-Unis sont-ils trop sévères avec les banques européennes et cléments avec les leurs au moment où se profile une amende record contre la française BNP Paribas pour avoir notamment violé les sanctions économiques américaines contre l’Iran et Cuba ? « Poser la question revient à comparer le Chardonnay et le Champagne », confie à l’AFP l’ex-procureur fédéral Jacob Frenkel. « Au départ ce sont tous deux des vins mais la texture, la couleur et les arômes sont différents. » « Pour les banques, la nature des faits reprochés n’est pas comparable », estime-t-il : « C’est une chose de concevoir des instruments financiers toxiques (banques américaines), c’en est une autre de violer un embargo imposé à des régimes dont les principes sapent les libertés fondamentales (BNP Paribas) ou d’aider de riches Américains à frauder le fisc de leur pays (Credit Suisse) ». Aux Etats-Unis, « violer un embargo ou aider à l’évasion fiscale sont des +crimes+ qui relèvent du pénal, concevoir un instrument financier aussi complexe soit-il ne l’est pas », renchérit auprès de l’AFP un juge fédéral ayant requis l’anonymat. Pour structurer les investissements financiers complexes adossés à des prêts immobiliers à risque (subprime) à l’origine de la crise financière, les banques américaines ont fait appel à une cohorte d’avocats qui leur ont permis de construire des produits certes toxiques mais complètement légaux au vu des lois américaines, selon les ex-procureurs fédéraux Jacob Frenkel et Derek Knerr. La preuve en est, selon eux, que l’administration Obama, malgré de gros moyens accordés à l’ex-conseiller du président Bill Clinton, Lanny Breuer, a fait choux blanc dans ses tentatives de poursuites criminelles. M. Breuer, un ancien procureur fédéral de renom, avait été nommé en 2009 à la tête de la division criminelle du ministère de la Justice (DoJ) pour enquêter sur les responsabilités des banques américaines dans la crise. Le but était de trouver des responsables et de les traduire en justice, comme ce fut le cas lors de l’éclatement de la bulle internet : des dirigeants de groupes comme WorldCom, Enron et Tyco avaient fini derrière les barreaux. M. Breuer a quitté ses fonctions en mars 2013 sans avoir pu épingler un seul grand nom de Wall Street. – BNP, un exemple – « Notre responsabilité est d’attaquer en justice quand il y a des preuves d’infractions répréhensibles par la loi », explique à l’AFP un porte-parole du DoJ, Peter Carr. Une agence de BNP Paribas à Paris ( AFP/Archives / Loic Venance) Si elles ont échappé jusqu’ici aux poursuites pénales, les banques américaines ont néanmoins payé de lourdes amendes au civil. Les accords les plus notoires sont ceux conclus en 2013 par JPMorgan Chase (13 milliards de dollars) et Bank of America (9,5 milliards en mars et 9,3 milliards en 2011 notamment). BNP Paribas, engagée dans des négociations serrées avec les autorités américaines, risque une amende pouvant dépasser les dix milliards de dollars, selon le Wall Street Journal.
De surcroît, elle pourrait perdre temporairement sa licence aux Etats-Unis, auquel cas ses activités américaines (plus de 15 000 salariés et environ 10 % de son chiffre d’affaires) seront gelées. « C’est disproportionné », estime Gregori Volokhine, gérant de fortune chez Meeschaert Financial Services. Pour le même délit, la banque néerlandaise ING avait en 2012 versé 619 millions de dollars et la britannique Standard Chartered 670 millions de dollars. Accusé de complicité de blanchiment, l’établissement financier britannique HSBC avait lui accepté la même année de payer 1,9 milliard de dollars. Aucune des trois n’avait vu sa licence suspendue. BNP paie, selon différentes sources judiciaires, le fait d’avoir joué la montre, et surtout elle négocie au moment où la pression publique et politique est montée d’un cran sur le Département de la Justice et son ministre Eric Holder. « Le public réclame du sang », pense M. Volokhine. M. Holder « veut marquer le coup », ajoute Derek Knerr, ce qui expliquerait cette possible amende record. Pour le juge fédéral, « il n’y a pas deux poids deux mesures. BNP est simplement victime d’un climat hostile aux banques et les sanctions contre elle auraient valeur d’exemple ».