Paru sur Boursorama.com
Assainies, les grandes banques américaines font face à un dilemme qui ferait pâlir d’envie leurs rivales européennes à la santé fragile: que faire de centaines de milliards de dollars amassés sous la pression des régulateurs depuis la crise financière ?
Un début de réponse sera connu ce mercredi vers 20H30 GMT, heure à laquelle la banque centrale (Fed) doit dire si elle approuve leurs projets de distribution de liquidités – dividendes, programmes de rachat d’actions, enveloppe destinée aux acquisitions -, un processus baptisé « CCAR ».
Le feu vert de l’institution fait peu de doutes après le sans-faute la semaine dernière de 34 établissements financiers qui ont passé sans encombre la première phase des tests de résistance annuels les soumettant à des scénarios de grave récession, d’après les experts.
En conséquence, « les banques vont augmenter de façon significative les gains versés aux actionnaires cette année » car « leurs bilans indiquent qu’elles sont en bonne santé », estime auprès de l’AFP Richard Bové, chez Rafferty. « Elles sont assises sur des excès de liquidités et ne savent pas quoi en faire ».
Les plus gros chèques cadeaux viendront des fleurons de Wall Street – JPMorgan Chase, Bank of America, Goldman Sachs, Wells Fargo, Citigroup et Morgan Stanley. Ces deux dernières pourraient reverser la totalité de leurs bénéfices à leurs actionnaires, avancent les analystes de Goldman Sachs.
– Excès de liquidités –
Les tests de la Fed ont révélé que les banques américaines détenaient 357 milliards de dollars en excès de capital, indique Betsy Graseck, experte chez Morgan Stanley, qui s’attend à une rémunération des actionnaires à des niveaux sans précédent depuis la crise.
Au premier trimestre, le secteur financier américain a reversé 29,5 milliards de dollars aux investisseurs, en hausse de 10,2%, calcule Howard Silverblatt, chez S&P Dow Jones Indices. C’est davantage que les 27,5 milliards de dollars perçus par les investisseurs dans le secteur technologique pourtant à la fête à Wall Street depuis plusieurs mois.
Le secteur financier américain est « devenu très sain », explique Gregori Volokhine, gérant de portefeuilles chez Meeschaert Financial Services. Les autorités américaines ont déployé un arsenal règlementaire au lendemain de la crise de 2007-2008 pour forcer les banques à renforcer leurs fonds propres dans l’objectif d’éviter un écroulement du système financier en cas de nouvelle récession.
Les futurs « cadeaux » aux investisseurs américains témoignent toutefois, selon les observateurs, de la frilosité des banques à soutenir l’activité économique et de leur « manque de vision » au moment où de jeunes pousses technologiques, les Fintech, ont investi le secteur financier avec comme ambition affichée de transformer l’ensemble des activités de la finance.
« Ceci devrait être un signal d’alarme », fustige d’ailleurs Neil Barofsky, qui a géré le TARP (« Troubled Assets Relief Program »), programme public de 700 milliards de dollars ayant aidé les banques américaines à se délester de leurs actifs douteux au lendemain de la crise de 2007-2008.
« En gros, on leur (banques) dit +maintenant que vous êtes en bonne santé, rendez l’argent+, au lieu de dire +maintenant que vous êtes en bonne santé augmentez les prêts pour stimuler davantage la consommation », renchérit Gregori Volokhine.
– Acquisitions ? –
Face à une économie ayant du mal à passer la vitesse supérieure, les banques veulent au préalable voir les réformes structurelles telles que les baisses massives d’impôts et les grands chantiers pour renouveler les infrastructures publiques américaines promises par Donald Trump, avance-t-on dans des cercles financiers de Wall Street.
Estimant que « les investisseurs devraient se poser la question suivante: +dois-je investir dans une entreprise qui jette de l’argent par les fenêtres ?+ », Richard Bové fait valoir que les excès de liquidités devraient être investis dans de nouveaux produits tels les transferts d’argent et les moyens de paiements pour contrer PayPal, Apple Pay ou encore Square.
Outre la consolidation du secteur bancaire aux Etats-Unis, ces fonds pourraient également servir à se développer à l’étranger via des acquisitions de banques européennes, poursuit l’analyste.
Tout comme Gregori Volokhine, M. Bové fait remarquer que les banques européennes vont mal, ce qui en fait des « proies » potentielles.
Le gouvernement italien vient en effet de sauver deux banques locales, tandis que la banque espagnole Banco Popular a été sauvée in extremis de la faillite par sa compatriote Banco Santander. Le géant bancaire allemand Deutsche Bank n’a pas encore complètement apaisé les interrogations sur sa santé.